La tortue européenne rattrape le lièvre Google

Google s’entête dans un leitmotiv qui pourrait bien, à force, ne plus servir de pare-feu contre les autorités européennes : « Nous respectons la législation de chacun des pays ». La fiscalité française semble pourtant bien décidée à trouver à redire à ce discours et de temps en temps, les enquêteurs sortent de leurs bureaux pour une opération d’envergure. Quels sont les enjeux de la perquisition du 24 mai dernier dans les locaux de Google France ? On s’est posé la question à l’agence web RIA Création.

Montage du logo Google derrière des barreaux de prison.

Google en prison !

Une centaine de personnes, des agents de la police judiciaire, de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, des experts en informatique de la Brigade de répression de la grande délinquance financière et des magistrats du parquet national financier (rien que ça) ont investi mardi matin les 10 000 m² des locaux de Google à Paris.

Ça pendait au nez du géant d’internet. Depuis 2011, la France enquête sur la régularité du modèle économique qui permet à Google de ne payer que 5 millions d’euros d’impôts à l’Hexagone, pour un chiffre d’affaires estimé officieusement à plus d’un milliard d’euros, et cela uniquement grâce à la régie publicitaire Adwords(¹). La France mais aussi d’autres pays européens élèvent régulièrement la voix pour signifier à l’entreprise qu’il y a des limites à ne pas dépasser, concernant par exemple les données personnelles ou les droits d’auteurs (quand Google Books visait à copier les bibliothèques du monde entier en faisant fi de la législation). L’Allemagne et la France ont diffusé conjointement début mai un rapport de leurs Autorités de la concurrence qui annonçait des opérations à venir. La perquisition de mardi semble être le premier coup porté.

Évadé ou profiteur ? C’est la peste ou le choléra pour l’économie française !

Google est soupçonné par le ministère des finances de « fraude fiscale aggravée et de blanchiment en bande organisée de fraude fiscale aggravée ». Si cela s’avère, cela place la société américaine au niveau peu glorieux d’une mafia, mais il se trouve que Google a peut-être tout à fait le droit d’opérer les montages financiers en question, et c’est ce que l’enquête doit éclaircir.

Comment est-il possible pour une société de ne payer que 5 % d’impôts dans un pays où c’est normalement 33,33 % ? Pour le coup, il faut dire que c’est la faute à notre législation qui autorise une entreprise à s’installer dans le pays européen qui l’arrange le mieux fiscalement, ici l’Irlande, et à faire des affaires en France. Plus précisément, selon les accords entre ces deux pays, il faut que les revenus engrangés en France ne concernent que la « publicité, [la] fourniture d’informations, [la] recherche scientifique ou [des] activités analogues qui ont pour l’entreprise un caractère préparatoire ou auxiliaire »*, auquel cas on considère qu’il ne s’agit pas d’un établissement stable, donc qu’il n’est pas soumis à l’impôt des sociétés en France. La plainte et la perquisition interrogent donc ce fait, le ministère des finances estimant d’une part que Google effectue bel et bien des affaires rendant son établissement en France stable, et d’autre part que le transfert des revenus de la publicité entre la France et l’Irlande est irrégulier. Parce que quand le texte précité parle de publicité, il s’agit en fait de la publicité de l’entreprise elle-même, auquel cas Adwords n’est pas concerné et devrait être soumis à l’impôt comme toutes les autres affaires en France.

Certains optimistes (ou ultra-libéraux) seraient tentés de dédouaner Google en considérant qu’il a bien ce droit et qu’il paye de toute façon des impôts dans un pays européen, et qu’il faudrait s’en contenter. Or Google paye-t-il bien des impôts en Irlande ? Pierre-Alain Muet affirme que ce n’est pas le cas(²). En tant que vice-président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, le député PS garde un œil sur la situation des GAFA (acronyme conçu avec les initiales de Google, Apple, Facebook et Amazon), ces sociétés géantes qui veulent à tout prix optimiser leur fiscalité en tirant un peu trop sur la corde légale. Selon lui, non seulement Google extrait des revenus en France vers l’Irlande en établissant son siège là-bas, mais en plus le droit irlandais l’autorise à extraire ces revenus d’Irlande en installant son conseil d’administration aux Bermudes. Résultat : « le taux d’imposition, c’est pas le 12,5 % de l’Irlande, c’est 0 % ».

Le couperet va-t-il tomber ?

L’excitation générée va vite retomber, avec les autres actualités brulantes du moment. Dans ce genre d’affaires, les enquêteurs prennent le temps de ficeler solidement leurs dossiers pour que les avocats spécialisés ne s’engouffrent pas dans une faille procédurale. On risque donc fort de ne plus entendre parler de tout cela avant la résolution finale, peut-être sous la forme d’un chèque pour les impôts. Si c’est le cas, le ministre des finances Michel Sapin affirme qu’il n’est pas prévu de négocier le montant dû pour obtenir quelques miettes, comme l’a fait l’Angleterre au grand dam de plusieurs de ses députés, d’autant que ce que devrait Google à la France se chiffrerait à plus d’un milliard sans compter les arriérés et l’amende qui iront avec, un montant non confirmé par le ministre(³).

Une affaire à retenir dans un coin de sa tête, en attendant la suite.

Sources :


¹ http://www.economiematin.fr/news-google-revenus-publicite-adwords-estimation-france

² http://www.rtl.fr/actu/economie/google-dit-toujours-qu-il-respecte-parfaitement-la-legislation-s-amuse-pierre-alain-muet-7783370750

³ http://www.lesechos.fr/24/02/2016/lesechos.fr/021720566321_le-fisc-reclame-1-6-milliard-d-euros-d-arrieres-d-impots-a-google.htm

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